Une ‘sandbox’ pour la digitalisation et la régulation de la microfinance dans les Balkans
Lorsque l’on parle d’inclusion financière, on pense tout de suite aux pays dans lesquels les populations pauvres sont exclues du système financier et banquier, comme l’Inde, l’Afghanistan, le Sénégal etc. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher si loin.
L’exclusion financière concerne aussi nos voisins les Balkans par exemple. Les raisons de l’exclusion financière sont nombreuses et parmi elles, l’absence d’historique de crédit est généralement la plus invoquée dans les pays dont le système financier est déjà bien développé.
On est donc exclu du système bancaire parce qu’on a pas d’historique de crédit, et on ne peut s’en créer un justement parce qu’on est exclu du système bancaire. Paradoxal. Tout du moins les choses étaient ainsi jusqu’aujourd’hui. Imaginez maintenant une application Fintech qui utiliserait les données de votre smartphone pour évaluer votre cote de solvabilité.
En analysant le nombre de contacts, la durée des appels, l’agenda, les applications d’organisation utilisées ou non, les applications d’aide à l’épargne utilisées ou non, les institutions de microfinance pourraient déterminer des traits des personnalités des emprunteurs potentiels (comme l’impulsivité ou l’extraversion) et évaluer leur cotes de solvabilité et donc la probabilité qu’ils fassent défaut.
Fournir des services financiers aux plus exclus aidera les Balkans à atteindre la croissance financière qu’ils recherchent.
Je sais, j’avance trop vite. Comment en suis-je arrivé à cette conclusion ? Revenons-en au 5 septembre, je me trouvais alors dans une ville avec un ratio de statues par personne bien trop élevé.
Culture très riche, histoire tout aussi complexe – Skopje
La semaine dernière, j’ai passé quelques jours a Skopje et participé à une conférence internationale intitulée « Regulating digital financial services », organisée par l’Alliance des Organisations de Microfinance (Alliance of Microfinance Organizations, MFO), appuyée par l’USAID.
Ce n’est pas la première fois que je me rendais en Macédoine du Nord. Il y a exactement deux ans, à la fin de notre année de césure, ma femme et moi avons voyagé de Budapest à Istanbul, en passant par Belgrade, Skopje et Sofia. Très impressionnés par la richesse de la culture et l’histoire complexe qui caractérisent cette région, nous avions alors trouvé que les Balkans étaient uniques et fascinants.
Par exemple, bien que la majorité de sa population ait des origines slaves et des liens ethniques très forts avec des pays d’Europe de l’Est, l’influence de la Turquie demeure très forte. En effet, la région fit partie de l’empire Ottoman pendant plus de 400 ans.
L’héritage culture oriental est bien présent a Skopje, surtout autour du bazaar, où se trouvent des mosquées, des bains turcs (Hamman) et des caravansérails (Han).
La conférence
Ce fut l’occasion de discuter de ce qui avait été mis en place jusqu’ici en faveur de l’inclusion financière dans la région, les obstacles subsistants et les solutions envisageables, ainsi que le rôle clé que la technologie peut avoir.
L’une des préoccupations principales est qu’une réglementation peu judicieuse pourrait empêcher les consommateurs de profiter des avantages de l’innovation en matière de services financiers. Tous les participants étaient d‘accord sur le fait qu’il est urgent de trouver le bon équilibre entre une réglementation préventive et le développement du marché. Ne pas en parler n’est plus une option.
Les organisateurs de la conférence (MFO) ont invité des régulateurs, des représentants d’institutions de microfinance (IMF) et des professionnels du secteur, venant de Croatie, de Serbie, du Kosovo, de Bosnie, d’Albanie, de Grèce et e Macédoine du Nord.
Des invités spéciaux venant du Nord
Les invités spéciaux étaient en fait des délégués des banques centrales, des ministères des finances et d’autres autorités de régulations venant des trois pays Baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
Les Balkans, qui présentent de nombreuses et troublantes similitudes avec les pays Baltes, leur accordaient une attention toute particulière, et ce pour quatre raisons.
Premièrement, les pays Baltes et les Balkans ont des populations de tailles similaires et des taux de croissance du PIB comparables.
Deuxièmement, les deux régions subissent encore de très lourdes conséquences des régimes en place après la Deuxième Guerre Mondiale.
Troisièmement, les pays baltes sont récemment devenus membres de l’UE, tout comme la Croatie. Les autres pays de la région des Balkans, en particulier la Serbie, l’Albanie et la Macédoine du Nord ont commencé à prendre les premières mesures qui pourraient leur permettre d’y entrer également.
Plus important encore, les pays Baltes sont leader en matière de digitalisation des services financiers en Europe. Par exemple la Lettonie a mis en place le premier système de paiements instantanés de la zone Euro (24/7/365) conforme au projet d’Espace unique de paiements en euros (SEPA). Le pays expérimente également un nouveau système d’échange de données Know-Your-Customer (KYC), accessible à tous les acteurs du secteur financier, utilisant des données biométriques pour l’identification des clients.
En octobre 2018, la Lituanie a lancé une ‘sandbox’ de régulation qui permet aux acteurs du marché de tester des nouveaux produits de la Fintech, dans un environnement réel avec des vrais clients, sous le contrôle de la Banque Centrale de Lituanie.
L’Estonie a digitalisé de nombreux aspects de la vie de ses citoyens, du vote aux ordonnances médicales, en passant par le permis de conduire. Par ailleurs, il est logique que les écoliers Estoniens soient motivés pour les cours d’éducation financière s’ils se font sur une application !
Une ’sandbox’ de régulation est une plateforme mise en place par les autorités régulatrices des marchés financiers qui permet aux acteurs privés de tester des innovations dans un environnement contrôlé (et ce avec une autorisation spéciale, parfois limitée dans le temps), sous la supervision des autorités régulatrices.
CGAP, Regulatory Sandboxes and Financial Inclusion, Working Paper, 2017
Les Balkans
Les pays des Balkans se dirigent également vers la digitalisation des services financiers, tous de manières différentes, au vu des particularités de chaque pays.
La Banque nationale de Croatie, étant déjà membre de l’euro-système, est actuellement bien occupée à aider les acteurs du marché à mettre en application la directive sur les services de paiements 2 (PSD2).
La Banque nationale de Serbie, lance une ‘sandbox’ de régulation, et la Banque nationale de Macédoine a créé un « hub » de l’innovation et coordonne ses actions avec celles des instances régulatrices d’autres pays, avec en ligne de mire l’entrée dans l’UE et la directive PSD2 à respecter.
La Banque d’Albanie, qui est la seule autorité du pays à surveiller et autoriser toutes les activités de prêt et de paiements pratiquées par les banques et les institutions financières non-bancaires, a récemment publié une nouvelle loi sur le paiement. En créant le concept de service d’initiation de paiement et le service d’information de compte, la loi vise à réduire les coûts de transaction et à s’aligner sur les réglementations européennes.
Le Kosovo n’est pas aussi avancé dans la digitalisation de son secteur financier, à cause de l’instabilité politique, qui empêche la création de nouvelles réglementations.
En quoi une ‘sandbox’ de régulation peut-elle aider ?
Les principaux challenges que rencontrent les autorités régulatrices sont :
- les courbes de connaissances : bien souvent les personnes en charge de la réglementation rencontrent des problèmes technologiques qu’ils ne maitrisent pas.
- Les différences de compétences : certains sujets impliquent parfois différents département, ce qui requiert d’importants efforts de coordination.
- Le manque d’harmonisation entre les différentes zones : une technologie pourrait être installée dans un pays, mais le service délivré dans un pays ayant une réglementation différente. (passporting).
D’après cet article de recherche, financé par la fondation Bill and Melinda Gates Foundation, les ‘sandbox’ de régulation, ainsi que d’autres initiatives, tel que les ‘hub’ de l’innovation, peuvent permettre aux autorités de régulation de répondre aux problèmes cités plus haut. Il y a cependant quelques limites à prendre en compte, telles que les capacités en matière de régulation, le conservatisme et la transparence.
Mettre en place des ‘sandbox’ thématiques de régulation est crucial pour éliminer les obstacles régionaux, comme les ressources limitées, l’absence de talents locaux dans le secteur des nouvelles technologies et les différences entre toutes les juridictions.
Mais il va sans dire que des ‘sandbox’ régionales requerraient d’immenses efforts de coordination transfrontalière.
‘Sandbox’ d’industrie vs ‘sandbox’ de régulation
Créer des ‘sandbox’ de régulation n’est pas suffisant pour encourager l’innovation, réduire les coûts d’expérimentation et ainsi éviter l’exclusion financière. Il faut en parallèle mettre en place d’autres système et les diffuser plus largement. Une ‘sandbox’ d’industrie pourrait être une de ses solutions. Elle diffère d’une ‘sandbox’ de régulation en ce qu’elle n’implique ni ne fournit d’allégement de la régulation, car elle fonctionne en dehors des marchés.
Innovative finance, invité par UK FCA à mener une consultation sur le concept de ‘sandbox’ pour l’industrie de l’innovation financière en 2017, définit une ‘sandbox’ d’industrie comme « un environnement partagé en dehors du marché, destiné au développement de nouveaux produits de Fintech, au sein duquel les développeurs ont accès aux données, technologies et services des différents fournisseurs, et peuvent tester leurs idées innovantes et réfléchir aux challenges rencontrés par tout les acteurs ».
Les résultats principaux de la recherche montre qu’une ‘sandbox’ de régulation peut permettre d’accélérer :
- le développement de solutions, en donnant accès aux données et aux interfaces de programmation à tout l’écosystème de la Fintech;
- La résolution de problèmes complexes en facilitant la collaboration entre tous les acteurs de l’industrie ;
- L’efficacité des réglementations, en encourageant les régulateurs à être observateurs.
En quoi le partenariat entre Microfinanza et l’Open Bank Project peut-il aider ?
Lors de ma présentation, j’ai eu la chance d’expliquer aux autres participants les avantages d’une hypothétique ‘sandbox’ d’industrie, déployée par l’Open Bank Project (OBP) et assisté par Microfinanza.
En 2017, OPB a développé l’une des premières ‘sandbox’ d’industrie, avec un mix de données réelles et fictives pour le Australian Payment Council (APC). L’APC est une entité de coordination stratégique pour l’industrie du paiement Australienne, qui représente des organisations comme l’Australian Payments Network (APN), diverses institutions financières, et des fournisseurs d’infrastructures de marché tels que SWIFT.
Cette ‘sandbox’ d’industrie et l’événement organisé pour son lancement ont rassemblé des institutions financières et la communauté Fintech. Un an plus tard, signe que cette initiative a encouragé l’innovation, l’APN a financé un nouveau projet le New Payment Platfom (NPP) Program, qui « permet aux consommateurs, aux business et aux agences gouvernementales australiennes d’effectuer des paiements en temps réel entre des comptes ouverts auprès des différentes institutions participantes. »
Le cas Australien peut être érigé comme exemple de bonnes pratiques en matière d’innovation, et cette approche pourrait être reproduite dans les Balkans, mais également dans les pays Baltes. On se servant de l’expérience de l’OBP dans le développement de ‘sandbox’ à l’échelle d’une industrie, chaque pays pourrait avoir sa ‘sandbox’ adaptée à ses spécificités, prête en quelques semaines.
Microfinanza, forte de ses 19 ans d’expérience en matière d’accès aux services financiers, pourrait aider les régulateurs, les IMFs et les entreprises de la Fintech à répondre à leurs objectifs et à mesurer leur impact.
Une approche en trois temps
Lors d’une première phase de set-up, Microfinanza et OBP pourraient conseiller les sponsors/donateurs de l’initiative en leur procurant une liste des participants nécessaires et facultatifs, ainsi qu’en leur proposant des formations et des cas pratiques.
Généralement, un droit d’observation est donné aux autorités régulatrices du pays, et un droit d’utilisation aux IMFs et acteurs de la Fintech. Il est également possible de donner un droit d’observation à des organisations de pays étrangers.
Dans un second temps, après le lancement de la ‘sandbox’, Microfinanza et OBP fourniraient des services d’assistance technique et de formation sur des sujets tels que le développement de produits et de services, la gestion de risque ou la protection des données personnelles.
Lors de la phase finale, après 12 mois d’expérimentation, les meilleures idées et propositions seront testées avec de vraies données, au sein d’une ‘sandbox’ de régulation, et mise en oeuvre par les IMFs, en collaboration avec les acteurs de la Fintech.
Pour résumer, grâce à l’expérience de Microfinanza dans le domaine de l’inclusion financière et aux technologies du Open Bank Project, l’initiative permettrait :
- Aux acteurs du marché (IMFs et Fintech) d’innover et d’ainsi remplir leur mission sociale ;
- Aux régulateurs de contrôler l’innovation, d’entamer un dialogue avec les acteurs du marché et de vérifier les différents test menés dans un ‘sandbox’ de régulation.
Dis moi Captain obvious, qui d’autre bénéficierait de ce projet ?
Le sponsor/donateur ! Cela leur permettrait d’atteindre leur objectifs sociaux.
En soutenant une telle initiative et en encourageant les nouvelles idées, le sponsor/donateur promeut l’innovation dans le domaine de l’inclusion financière. Une innovation qui pourra être vectrice de changements sociaux, au bénéfice des personnes et communautés les plus vulnérables et des performances sociale, économique et environnementale des institutions de microfinance.
D’après Bill Gates, « afin de transformer l’attention en action, il faut cerner le problème, trouver une solution et avoir un impact ». Et c’est exactement ce que permet une ‘sandbox’ à l’échelle d’une industrie.
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