Pourquoi et comment les Institutions de microfinance doivent-elle proposer des services non-financiers?

Alice Goubert

Experte junior en inclusion financière

Les institutions de microfinance ont été créées afin d’offrir des services financier (prêts, livrets d’épargne ou assurance) aux personnes qui sont exclues du système financier parce qu’elles sont pauvres et n’ont pas d’historique de crédit et sont donc considérées comme risquées et plus coûteuses par les banques.

Pour Mohamad Yunus, fondateur de la première banque de microcrédit, la pauvreté ne s’explique non pas par le manque de compétences mais par le manque de moyens pour les exploiter. Ainsi, permettre aux personnes pauvres d’avoir accès à des liquidités est le moyen le plus efficace pour combattre la pauvreté, et la microfinance apparait alors comme la solution idéale à la misère du monde.

Mais d’après beaucoup d’autres spécialistes, la pauvreté est multidimensionnelle[1] et donner accès aux personnes pauvres à des services financiers ne suffit pas pour leur permettre de sortir de la pauvreté durablement. C’est par exemple le cas de Amartya Sen, qui explique à travers son Approche par les « capabilités » que la pauvreté réside dans l’absence des capabilités (ou capacités) à mener la vie que l’on entend mener et non seulement dans l’absence de moyens économiques. Les personnes sont privées de l’accès aux infrastructures de santé et d’éducation, aux marchés, à l’innovation, au pouvoir, etc. En d’autres termes, les personnes pauvres sont privées des opportunités qui pourraient leur permettre de rompre le cercle vicieux de la pauvreté. Ainsi, les institutions de microfinance (IMF) ne doivent pas se contenter de fournir l’accès à des moyens financiers si elles comptent avoir un impact significatif sur le niveau de pauvreté de leurs clients, mais elles doivent également leur proposer des services non-financiers.

Les services non-financiers représentent tous les services proposés par les institutions de microfinance qui ont pour objectif de renforcer l’impact positif des produits financiers sur le niveau de pauvreté des clients[2]. Ils peuvent être de natures très différentes. L’éducation financière est un service non-financier clé et consiste en l’accompagnement des bénéficiaires vers une gestion saine et durable de leurs ressources financières, afin de leur permettre de lisser leurs revenus au fil des mois et d’épargner. Les services non-financiers peuvent également être liés à l’emploi et à l’entreprise, et ainsi prendre la forme de formations à l’auto-entreprenariat, de formations techniques et spécifiques, de conseils en matière juridique ou en comptabilité. Enfin les services non-financiers peuvent être de nature sociale et alors être liés à la santé, à l’éducation, au droit, à l’environnement, etc. L’impact théorique des services non-financiers sur la vie des bénéficiaires est double : premièrement, ils sont censés augmenter la productivité et donc les revenus des personnes à travers les formations professionnelles, la création de réseaux, etc. Deuxièmement, l’éducation financière, les activités liées à la santé et à l’agriculture durable, pourront améliorer leur résistance aux chocs qu’ils soient de nature économique ou climatique.

Si le mécanisme théorique qui permettrait aux services non-financiers d’améliorer le niveau de vie des bénéficiaires est évident, les études empiriques ont des résultats qui divergent suffisamment pour affirmer que la réalité n’est pas complètement alignée sur la théorie.

De nombreux chercheurs ont démontré l’impact positif et significatif des services non-financiers sur le niveau de vie des participants, comme Leatherman[3] qui a passé en revue dix-sept études empiriques, et a démontré que la combinaison de la microfinance avec des programmes de santé menait à une meilleure connaissance et à des changements de comportement en matière de santé et à un meilleur accès aux infrastructures de santé. Halder [4]a obtenu des résultats similaires : un revenu plus élevé pour les femmes qui ont participé à la formation professionnelle dispensée par BRAC. Le nombre d’études qui mettent en évidence un impact positif est important, cependant un nombre significatif d’études ne trouvent aucune preuve ou des preuves mitigées que les services non-financiers ont un impact sur la pauvreté, comme Karlan et Valdivia[5] qui ont trouvé que les formations professionnelles n’impactent ni les profits ni les revenus des bénéficiaires.

Des études comme celle-ci renforcent le discours des partisans d’un modèle de crédit plus minimaliste, pour qui les services non-financiers menacent les performances financières des institutions, car ils représentent évidemment un coût. Mais s’ils sont bien conçus, les services non-financiers peuvent ne pas nuire aux finances des institutions, et même représenter pour elles un avantage compétitif. Premièrement, aujourd’hui, les institutions fournissent la plupart du temps des services non-financiers en échange d’une participation monétaire de la part des participants qui, bien qu’elle soit souvent inférieure au coût marginal, couvre une partie des dépenses.

Mais les services non-financiers sont avant tout un moyen pour les IMFs d’améliorer durablement la qualité de leur portefeuille, en augmentant les bénéfices de leurs clients et leur résistance aux chocs.

Les services non-financiers augmentent donc la capacité des clients à rembourser leur prêt, mais ils peuvent également accroître leur volonté et leur loyauté envers l’institution. En effet ils sont un moyen pour l’institution de microfinance de créer une relation privilégiée avec ses clients et d’accroître leur sentiment de fidélité envers l’institution, ce qui s’est avéré particulièrement bénéfique pour certaines IMFs dans des contextes très compétitifs ou dans des situations difficiles.

Enfin, s’ils répondent ainsi aux besoins exprimés par les bénéficiaires, les services non financiers peuvent être un moyen pour les institutions de se démarquer dans un secteur de plus en plus concurrentiel. À l’inverse, s’ils sont imposés et obligatoires, les emprunteurs déserteront très probablement vers une autre institution, car la participation aux sessions représente pour eux un coût d’opportunité.

Les services non-financiers sont un moyen de combattre les racines profondes de la pauvreté, et ce de manière multisectorielle. Mais il est légitime de penser que ce n’est pas nécessairement le rôle des institutions de microfinance. Quelle légitimité a un agent de crédit pour dispenser des formations en matière de santé ? Et cela ne nuirait-il pas, en retour, à sa crédibilité en tant qu’agent de crédit ? Afin de contourner ce problème, les institutions de microfinance s’associent de plus en plus à des organisations spécialisées dans le domaine en question, chargées alors de dispenser les formations et autres services. En Europe en particulier, les services non financiers peuvent faire l’objet d’un partenariat entre une IMF et un organisme public qui est prêt à fournir (et à payer) les services parce qu’ils génèrent pour eux des externalités positives telles que la diminution des indemnisations chômage à verser ou l’augmentation des recettes fiscales.

Les services non financiers permettent alors aux institutions de microfinance de se placer au sein d’un réseau plus large, multisectoriel et inclusif et de jouer le rôle de lien entre des populations isolées et différentes structures, luttant toutes contre les différentes dimensions de la pauvreté.

 

[1]Lensink R., Mersland R., Hong Vu N.T., Zamore S. (2018) Do microfinance institutions benefit from integrating financial and nonfinancial services? Applied Economics, 50(21), pp. 2386-2401

[2] Biosca O., Lenton P., Mosley P. (2014). Microfinance Non-Financial Services as a Competitive Advantage : The Mexican Case. Strategic Change, 23, pp. 503-516.

[3] Leatherman S., Metcalfe M., Geissler K., Dunford C. (2012). Integrating microfinance and health strategies: examining the evidence to inform policy and practice. Heath and policy planning. 27, pp. 85-101.

[4]Halder, S. R. (2003). BRAC’s business development services—do they pay? Small Enterprise Development, 14, 2, pp. 26–35.

[5] Karlan D., Valdivia M. (2011) Teaching Entrepreneurship: Impact of Business Training on Microfinance Clients and Institutions. Review of Economics and Statistics, 93(2), pp. 510–527.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Share This